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Cultures et sociétés mésolithiques en France

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  • Chapitre1
    Le Mésolithique en France, d’hier à aujourd’hui
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    L’habitat sous toutes ses formes
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3.2 Le paysage culturel, entre réalités préhistoriques et contingences historiques ?

 

Ces caractères généraux connaissent des variations régionales, qui traduisent l’existence d’un maillage plus serré d’entités stylistiques parfois déclinées en faciès : c’est ce découpage plus fin qui va maintenant être exposé.

 

3.2.1 Au sud

Dans le Sud le premier Mésolithique voit s’épanouir le Sauveterrien, qui s’étale depuis la façade atlantique jusqu’aux Alpes, vient buter contre les Pyrénées et remonte, au nord, jusqu’à une ligne reliant la Loire au Vercors. Lors de la phase ancienne (9500-8000), les gisements se concentrent dans le Bassin aquitain (Rouffignac, Fontfaurès, les Fieux, Les Usclades…) et en Provence (Saint-Mître, Roquefure, Le Sansonnet …), dans des secteurs généralement faciles d’accès. Accompagnant de très nombreux triangles, isocèles ou scalènes, on trouve divers types de pointe, à troncature oblique ou fusiforme, comme la pointe de Sauveterre. A la fin de la phase ancienne et durant la phase moyenne (appelée Montclusien, elle se développe entre 8000 et 6500 cal BC), le Sauveterrien élargit sa zone d’influence : en atteste la diffusion du triangle de Montclus (effilé et retouché sur les trois côtés), que l’on retrouve en Bretagne, dans le sud du bassin parisien ainsi que dans les Alpes du nord. Ce dynamisme trouve également sa traduction dans la conquête de terres jusque-là délaissées : la montagne fait l’objet d’incursions de plus en plus fréquentes, dans les Alpes, le Massif central et même les Pyrénées. En Provence littorale se développe une industrie microlithique différente, le Montadien (Escalon de Fonton, 1976) : elle se caractérise par la présence, au moins dans la phase ancienne, d’un nombre important de segments, très majoritaires par rapport aux triangles.

 

Le second Mésolithique est moins documenté et seuls quelques travaux récents (Dourgne, Buholoup, Le Cuzoul de Gramat, Mourre de Sève, la Grande Rivoire) sont susceptibles de renouveler une vision obsolète basée sur des séquences célèbres (Rouffignac, Le Martinet, le Cuzoul de Gramat fouilles Lacam, Montclus et Chateauneuf-les-Martigues) mais peu fiables. Le fait le plus important est l’éclatement de l’unité sauveterrienne et la mise en place de plusieurs groupes distincts. Dans le Sud-ouest, la reprise des travaux au Cuzoul de Gramat a permis de poser les bases d’un nouveau modèle (Valdeyron et al., 2011) : il montre le maintien de la phase à triangle jusque vers 6400 cal BC, l’apparition des différents types de trapèzes (y compris ceux réputés évolués) sur le site autour de 6000, en association avec diverses variétés de pointes triangulaires (perçantes ou tranchantes) à retouches couvrantes. Le « trou » de 3 à 4 siècle dans la séquence ne permet pas à l’heure actuelle de réfléchir aux modalités de transition entre la phase à triangles et la phase à trapèzes, ni de dater précisément l’apparition des armatures larges dans le secteur aquitain. En Languedoc occidental, un schéma différent semble devoir être retenu : à Gazel comme à Dourgne, on note la persistance de nombreuses pointes non géométriques, associées à de très rares trapèzes (Barbaza, 1993). Une phase ultime pourrait être caractérisée par l’apparition de pointes à retouches envahissantes (pointe de Gazel). En Languedoc oriental et en Provence, la situation est encore plus complexe. A Montclus, un Mésolithique récent à trapèzes symétriques et triangles prolongerait la tradition sauveterrienne, qui serait ensuite interrompue par le Castelnovien. Ce dernier, qui dériverait du Montadien, est d’abord limité à la Provence littorale, où il apparaît autour de 6500 cal BC. (Binder et al., 2008) : son intrusion à Montclus signe une phase d’expansion territoriale, qui sera prolongée par la suite avec des remontées importantes dans la vallée du Rhône, jusqu’au massif du Vercors où il est attesté à la Grande Rivoire vers 5300 cal BC. Avec un débitage régulier réalisé en percussion indirecte et/ou par pression, le Castelnovien se caractérise par un outillage sur lame, associé à divers types de trapèzes dont l’évolution a pu être précisée : on passe de trapèzes à grande troncature rectiligne et à base concave, à des trapèzes à deux troncatures concaves (Trapèzes de Montclus), puis à des triangles résultant de l’évolution morphologique de ces trapèzes, avant d’aboutir à des flèches à tranchant transversal et retouches couvrantes (flèche de Montclus).

 

En Corse, le premier peuplement identifié intervient à partir de 9000 cal BC. Cette première colonisation a concerné l'ensemble des rivages de l'île (aucun site à l’intérieur des terres), comme en témoigne la répartition des principaux gisements : Strette, dans le nord, Curacchiaghiu, Monte Leone et Punta di Caniscione dans le sud, ou encore Araguina-Sennola dans l'extrêmité la plus méridionale. Du fait de l'absence de bulle...microlithe, les assemblages restent très difficiles à rattacher à l'un ou l'autre des faciès continentaux (français ou italiens) ou insulaire (Sardaigne) dont ils pourraient provenir (Costa, 2006).

 

3.2.2 Au nord

Dans le Bassin parisien plusieurs groupes différents se manifestent tout au long du premier Mésolithique. Ils ont en commun la rareté des triangles et l’abondance corrélative, dans un premier temps, des pointes à base non retouchée et, dans un deuxième temps, des pointes à base retouchée.

Au nord de la Seine, le stade le plus ancien voit le développement de l’Epiahrensbourgien, en lien avec le reste du nord-ouest de l’Europe (Ducros, 1999). Entre 8500 et 7800 cal BC, le Beuronien ancien, ou Beuronien A, connaît son extension maximum : ses industries bulle...lithiques, riches en pointes à troncature, atteignent l’ouest du Bassin parisien, comme en témoignent les sites d’Acquigny (Souffi, 2004) ou d’Hangest-sur-Somme. La situation se complique singulièrement par la suite, entre 7800 et 6500 cal BC. Dans la zone comprise entre la Seine et la Marne, qui inclut donc le secteur éponyme du Tardenoisien, les triangles font leur apparition, associés à des lamelles à dos et à des pointes bulle...ogivales à base retouchée (les fameuses pointes du Tardenois). Vers 7500, apparaissent des pointes à retouches couvrantes, appelées feuilles de gui : ces pièces caractérisent le groupe Rhin/Meuse/Escaut, qui repousse le Beuronien, maintenant dans sa phase moyenne, au sud de la Seine (Ghesquière et Marchand, 2010). Ce Beuronien B, présent par exemple à Noyen-sur-Seine (Seine-et-Marne), montre une panoplie d’armatures variées, où triangles et segments de cercle accompagnent pointes du Tardenois et pointes à troncature oblique. Moins homogène que dans la phase précédente, il se décline en faciès, comme le Sauveterrien à denticulés (des pointes rappelant celles de Sauveterre sont à l’origine de cette appellation trompeuse) ou le Beaugencien, identifié dans la région Centre, caractérisé notamment par la fréquence des outils prismatiques en grès ou silex. La Normandie offre également un bel exemple de cette complexité. Les trapèzes, associés à un débitage régulier, apparaissent à l’extrême fin du VIIème millénaire cal BC (cela semble être le cas à la Chaussée-Tirancourt, dans la Somme), ou au début du millénaire suivant. Au nord de la Seine, le groupe Rhin-Meuse-Escaut enregistre à la fois le maintien des feuilles de gui et l’apparition de trapèzes à base décalée, association qui persiste tout au long du VIème millénaire cal BC : les gisements les plus célèbres du Bassin parisien (l'Allée Tortue, Montbani, Coincy 2, la Sablonnière…) participent de ce phénomène. Le Beuronien quant à lui, qui se charge également en trapèzes (souvent rectangles), voit sa zone d’extension à nouveau grignotée et perd peu à peu le contact avec le littoral atlantique, dont il est séparé vers 5500 par le groupe de Sonchamps et celui à pointes de Falaise, récemment identifié (Ghesquière et Marchand, 2010).

  

En Bretagne, les phases les plus anciennes du Mésolithique sont encore très mal connues : quelques assemblages comportant à la fois triangles isocèles et scalènes et pointes à bases concaves, avec un débitage irrégulier de type Coincy, comme à Kerjouanno dans le Morbihan, s’y rapportent sûrement. Le stade moyen est nettement mieux documenté, marqué par l’affirmation du groupe de Bertheaume qui se développe vraisemblablement à la fin du IXème millénaire cal BC (Marchand et al., 2009 a). Les industries bulle...lithiques associent, comme à Kergalan et Kervouyen, des lamelles étroites à deux bords abattus et troncature, des triangles scalènes et des pointes à deux bords abattus et base brute. Le stade final correspond au développement du Tévécien, identifié par J.G. Rozoy (1978) à partir des séries de référence d'Hoédic, Téviec et Kerhillio. Récemment revisité (Marchand, 1999), ce Tévécien couvre toute la fin de la séquence mésolithique et se développe tout au long du VIème millénaire cal BC: il se caractérise par l’emploi dominant de trapèzes symétriques à retouches abruptes, dont certains à troncatures concaves comme à Beg-an-Dorchenn (Finistère) ou Beg-er-Vil (Morbihan) (Dupont et al., 2010), parfois associés à des triangles scalènes à petit côté concave.

 

Dans le Centre-Ouest les connaissances sont encore partielles et pâtissent du manque de gisements stratifiés et de datations vraiment fiables : des travaux récents (voir en particulier Marchand et al., 2009 b et Michel, 2007) ont fort heureusement fait évoluer cet état lacunaire. Le stade le plus ancien, encore mal daté mais reconnu par exemple sur le site des Etangs de la Brénière (Loire-Atlantique), se caractérise par l’association de triangles isocèles et scalènes en proportion à peu près identique, de pointes à base transversale et de pointes par troncature oblique. Par la suite, deux entités semblent pouvoir être identifiées : l’une, basée en Loire-Atlantique et dans le nord de la Vendée, se caractériserait par la fréquence importante d’une type de pointe à base naturelle et piquant trièdre conservé, la pointe de la Majoire ; l’autre, localisée dans les Charentes, ferait une part importante aux triangles, tout en accueillant une part non négligeable de pointe à base retouchée. Les phases récente et finale sont mieux documentées. Une première étape verrait l'apparition des trapèzes, symétriques ou asymétriques, dans le courant du VIIème millénaire (peut-être dès la première moitié), sur les gisements de Saint-Gildas (Marchand et al., 2009 a). Les trois ou quatre étapes suivantes rythment l'évolution du Retzien : on assisterait, au cours de la seconde moitié du VIème millénaire avant J.C. et au début du millénaire suivant, à la transformation progressive de la panoplie d'armatures du Retzien, d'abord caractérisé par un type de trapèze (trapèze du Payré), puis par la multiplication d'armatures évoluées (armature à éperon, flèche du Châtelet), toujours associées aux trapèzes, avant d'être seules représentées. La fouille récente du gisement des Essarts (Poitiers, Vienne), sur lequel un nouveau faciès technique présentant des caractères mixtes empruntés à toutes les régions voisines a été identifié (Marchand et Michel, 2009), démontre bien la complexité de la période.

 

Dans l'Est de la France, quelques gisements (abri du Mannlefelsen en Alsace, grotte de Bavans dans le Jura…) avaient permis d'apprécier les caractères généraux de la séquence mésolithique régionale. Des travaux plus récents précisent aujourd’hui ces données et confirment la complexité du paysage culturel dans cette zone de confluence où se rencontrent les grandes traditions culturelles du Mésolithique français. Le gisement de plein air de Choisey, dans le Jura, est exemplaire de ce point de vue (Séara et al., 2002) : l’industrie de la couche 2, associant pointes à base non retouchée et triangles isocèles, rapportée au Préboréal, marque l'extension la plus méridionale de l'épi-Ahrensbourgien, alors que la couche 1, caractérisée par la présence de pointes à base transversale et de nombreux segments (équilibre que l’on retrouve dans l'abri des Cabônes à Ranchot), est typique du Mésolithique moyen jurassien. Sur le gisement pourtant voisin de Ruffey-sur-Seille, qui a livré une séquence couvrant presque tout le Mésolithique, les cycles culturels paraissent relever de traditions différentes de celles reconnues à Choisey (Séara et al., ibid). La première phase d'occupation est calée chronologiquement dans la seconde moitié du Préboréal et les industries bulle...lithiques qui la documentent ont été rapportées au Beuronien A. La seconde occupation intéresse la fin du Préboréal et le début du Boréal et concerne une phase ancienne du Mésolithique moyen. Les industries bulle...lithiques présentent cette fois de très nettes affinités avec le Sauveterrien (triangles isocèles, diverses variétés de scalènes dont certains proches des triangles de Montclus, pointes de Sauveterre…). La phase suivante se cale dans la première moitié du Boréal et livre une industrie qui semble elle aussi devoir être mise en parallèle avec le Sauveterrien. Au début de l'Atlantique, une ultime phase de fréquentation est attestée : l'industrie lithique, qui associe trapèzes (seuls présents au titre des armatures) et une série de lamelles retouchées débitées en percussion indirecte, trouve des équivalents probants dans certains gisements suisses. Ces données s’insèrent parfaitement dans le modèle proposé dans une récente synthèse (Perrin, 2003), qui identifie un Mésolithique récent, daté du VIIème millénaire et caractérisé par l’association lamelles à enlèvements réguliers/trapèzes asymétriques et pointes de Bavans, et un Mésolithique final, positionné entre 6200 et 5700 cal BC, marqué par la présence conjointe de trapèzes asymétriques et symétriques, ces derniers étant majoritaires.